L’exploitation en couple d’une entreprise est un mode d’exercice très classique. Que faut-il prendre en compte pour limiter les difficultés, au cas où les conjoints se séparent ? Le droit de la famille et les droit des affaires ne sont pas adaptés à ces coïncidences. Certes, le conjoint collaborateur de l’entrepreneur individuel dispose d’un statut officiel, et l’associé d’une société commerciale peut revendiquer des droits statutaires. Mais le divorce d’un couple qui tire des revenus professionnels de la même entreprise  rajoute des problèmes juridiques et financiers aux dépens de l’un ou de l’autre, quand tous les deux n’y perdent pas. 
Je vais relater des histoires réelles  et présenter les dispositiifs qui protègent, tant bien que mal,  les conjoints collaborateurs.

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 46% des couples mariés, pacsés ou concubins finissent par se séparer.

86% des entreprises françaises sont des affaires familiales.

100% des séparations de couples qui m’ont raconté leur divorce, alors qu’ils tiraient leurs revenus professionnels d’une entreprise exploitée ensemble ont précipité au moins l’un des deux ex-partenaires dans des difficultés financières ou judiciaires.  

Quand le divorce dépasse le cadre de la vie privée

Une séparation « au civil », qui prive l’un ou l’autre des ex-conjoints de son gagne-pain ne l’exonère pas forcément des responsabilités qu’il assume dans l’affaire familiale. Dans certaines situations, un membre du couple qui s’est éloigné de l’entreprise, pour s’écarter de son ex-partenaire de vie, reste solidaire des dettes ou de certains actes de gestion posés par l’ex. qui poursuit l’exploitation.

Les intentions du droit civil et celles du droit des affaires sont complètement différentes. Et les différentes juridictions n’ont ni le même fonctionnement, ni le même rythme.
De surcroît, les protagonistes d’une tourmente personnelle sont, en général,  déstabilisés. Prendre, en pleine lucidité, les bonnes mesures  juridiques concernant leurs responsabilités entrepreneuriales ne va pas de soi, à ce moment-là. 
Or, les peines de cœurs n’attendrissent ni le fisc ni le Tribunal du Commerce.

Récemment, j’ai reçu un témoignage assez moche, qui montre que la transparence n’est pas toujours au rendez-vous, au sein des couples qui travaillent ensemble :

Suzana, qui a immatriculé l'entreprise familiale en son nom propre, exploite, avec Daniela, sa partenaire de PACS, une activité artisanale. La conjointe collaboratrice, peu portée sur la vie au bureau, assure les chantiers, tandis que l'entrepreneure prend en charge la gestion. Suzana se sait plus rigoureuse que Daniela, pour les questions comptables et juridiques. En se portant responsable légale de l’entreprise, elle pense optimiser la marche des affaires, avec Daniela, dont les clients louent les compétences artisanales. Mais les deux femmes se séparent et, après leur rupture, Daniela continue à faire des chantiers, exposer des dépenses et prendre des engagements au nom de l’entreprise de son ex-conjointe, sans se soucier du suivi de la gestion. Suzana s'est désintéressée de l'entreprise qui porte son nom, le temps de se remettre d'une épreuve qui affecte son moral. Elle reçoit bientôt des relances pour des déclarations de TVA non déposées, des dettes non réglées, des litiges clients, etc. Au bout du compte, Suzana a évité de justesse la banqueroute personnelle. Daniela, en poursuivant l'exploitation d'une entreprise qui n'était pas la sienne, a rajouté des problèmes à son ex partenaire de PACS.

Le rapport de force entre les partenaires, au moment de leur séparation et l’instabilité morale dans laquelle une crise conjugale précipite le couple risque de faire passer au second plan certains points de droit commercial ou fiscal.

Les anglo-saxons, qui sont décomplexés au regard de l’argent, nous donnent un exemple de pragmatisme, quand, au moment de leur union, des stars très fortunées, demandent aux avocats de préparer les termes du « contrat de divorce », en même temps que le contrat de mariage.

Chaque porteur de projet, chaque entrepreneur doit garder à l’esprit que « romantisme » et « activités exercées dans le but d’obtenir des revenus » sont des concepts opposés : un couple est gouverné par les « élans du cœur », l’entreprise, par un business plan stratégique.

Cas de l’entrepreneur individuel qui travaille avec son conjoint

Soyons précis : celui ou celle qui a obtenu, sur son nom propre, un numéro de SIREN lors de la création d’une entreprise individuelle en est le représentant légal de l’entreprise vis-à vis des tiers.

Pendant toute sa vie professionnelle, ma mère, Monique, a été « aidante » de mon père, commerçant en entreprise individuelle. Ce couple, marié en 1958, ne s’est jamais désuni, mais, encore aujourd’hui, au crépuscule de sa vie, cette « aidante à l’ancienne » aura été financièrement et socialement dépendante de son mari.

Le boulanger qui prenait le beurre et l’argent du beurre, …

Quand je la rencontre, Nadine, a la cinquantaine dynamique. Elle a tenu une boulangerie, avec son mari, entrepreneur individuel. Au moment de leur divorce, elle découvre que l'entreprise lui verse, chaque mois, un salaire, depuis des années.  Or, Nadine n’a jamais vu arriver le moindre euro sur son compte bancaire personnel, ni sur le compte commun des époux, au titre de la rémunération de son travail. Elle a laissé à son mari le soin de s’occuper des finances de leur ménage ; elle se croyait conjoint collaborateur (non rémunéré) et était en fait conjointe salariée.

Nadine a  divorcé sans un sou sur son compte personnel et, bien sur, elle n’a plus de travail : le boulanger est parti avec le beurre, l’argent du beurre, et sa compétence de boulanger.
Pour la petite histoire, Nadine s’est prise en main, elle s’est formée à la gestion d’entreprise et à repris un commerce, dont, cette fois, elle assure par elle même, la gestion rigoureuse.

Conjoint collaborateur d’abord, conjoint salarié ensuite

Aujourd’hui, lorsque des personnes pacsées, mariées ou concubines travaillent ensemble, dans l’entreprise individuelle qui porte le nom de l’un des deux, les choses sont cadrées  : le statut du conjoint de l’exploitant est défini par la Loi : il est conjoint collaborateur ou conjoint salarié (le statut de conjoint associé n’est possible qu’en cas d’association dans une société commerciale).

Une personne peut devenir « conjoint collaborateur » ou « conjoint salarié » si elle  démontre qu’elle forme un foyer fiscal avec un entrepreneur individuel (ils déclarent leurs impôts [déclaration 2042] ensemble).

Quelle différence entre conjoint collaborateur et conjoint salarié ?

La différence majeure entre un conjoint salarié et un conjoint collaborateur est que ce dernier participe à l’exploitation sans toucher de salaire. Des cotisations sociales sont alors versées par l’entrepreneur en nom propre, au bénéficie de son conjoint collaborateur, pour lui donner des droits (régime générale de la sécurité sociale, retraite, …). Mais le conjoint collaborateur ne perçoit pas de revenus professionnels en son propre nom. Son argent personnel dépend d’un accord intime, au sein du couple.

Le conjoint salarié est, lui, en situation de subordination. Le droi du travail s’applique au même titre que d’éventuels autres salariés.

Un conjoint peut-il travailler avec son partenaire sans être payé personnellement ?

ENTRAIDE FAMILIALE : le fait qu’un entrepreneur individuel reçoive, ponctuellement l’aide d’un membre de sa famille, sans que ce dernier n’ait de statut, de contrat ou de rémunération est relativement fréquent. C’est une tolérance du droit, car, en pratique, c’est un cas de travail dissimulé : les caisses fiscales et sociales ne reçoivent pas de cotisations, dans cette situation.

La limitation de l’entraide familiale protège  les membres de la famille d’un chef de famille qui serait tenté d’exploiter ses proches, en les faisant travailler régulièrement sans les rémunérer, ni leur ouvrir de droits sociaux…
A moins que chacun se complaise dans un système de rémunération « au noir ».

Lorsque la collaboration du conjoint à l’activité est régulière, au bout de 5 ans comme « collaborateur », le statut de « conjoint salarié » est automatiquement attribué par l’URSSAF au conjoint collaborateur d’un entrepreneur individuel. Ce salarié touche alors une rémunération (un salaire) et cotise par lui-même en plus des cotisations sociales patronales. Il bénéficie donc d’une couverture sociale améliorée.

Un système de cogestion entre conjoints est réputé exister

L’entrepreneur individuel est, au sens du droit des affaires, tenu d’assurer seul la direction de son activité, sans intervention de son conjoint salarié.

La loi confère cependant un pouvoir de représentation de l’entreprise au conjoint collaborateur. Le Code de Commerce stipule que lorsqu’il est mentionné au Registre de Commerce ou au Répertoire des Métiers, etc. un conjoint est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier certains actes administratifs relatifs à l’exploitation de l’entreprise.

Le pouvoir de représentation est limité ; les responsabilités du représentant légal restent majoritairement sur les épaules de celui qui exploite l’entreprise en son nom propre.
En fonction des clauses d’un éventuel contrat de mariage/PACS, des règles plus ou moins restrictives de cogestion sont d’application, dans le but, notamment, de protéger le patrimoine personnel du partenaire de vie qui n’est « que »  collaborateur du représentant légal de l’entreprise.

Hélas, dans une situation de rupture de confiance entre conjoints réputés représenter ensemble un business,  il est seulement possible de prendre des dispositions juridiques, pouvant aller jusqu’à déclarer la cessation de l’activité, sans attendre que le divorce ou la fin du PACS soient prononcés. Plus facile à dire qu’à faire, pendant une crise matrimoniale.
Retenez que les règles du droit commercial ne supportent pas, en principe, d’atténuation par le fait de manquement, par l’un des conjoints, au droit de la famille.

Perte du statut de conjoint collaborateur ou salarié

Toutes les règles de cogestion deviennent caduques quand le statut de conjoint collaborateur cesse.

Une personne qui perd le statut de conjoint collaborateur (séparation du couple ou cessation d’activité de l’entreprise individuelle) voit son affiliation obligatoire à la Sécurité Sociale prendre fin. Cette personne peut alors s’affilier volontairement au régime de retraite afin de se constituer des droits à pension, pour plus tard.

Divorce de conjoints associés d’une société commerciale

Les désordres, en cas de dispute entre l’exploitant d’une entreprise individuelle et son conjoint peuvent générer des conséquences importantes lorsque des personnes qui avaient bâti leur projet entrepreneurial sur un lien de confiance intime cessent de s’entendre.

Chez les conjoints qui travaillent ensemble dans une société dont ils sont propriétaires, le pourcentage de détention des parts dans le capital social, par chacun des conjoints associés, les statuts ou les termes d’un pacte d’actionnaire régulent les relations formelles entre associés. 

Le conjoint (marié ou pacsé) est considéré comme conjoint associé s’il détient des parts sociales dans la société et s’il y exerce une activité professionnelle régulière .

En outre, l’un ou l’autre des conjoints peut avoir signé un contrat de travail. Ce qui le posistionne, en droit,  comme subordonné à l’autre.
Indépendamment de ces éléments qui règlent le droit, les complications liées à une séparation restent les mêmes que dans le contexte d’une entreprise individuelle. Chacun des ex-partenaires doit revendiquer, dans un climat pas toujours amiable, les intérêts qui sont les siens propres, non seulement « au civil » mais en plus en « droit des sociétés ».

Travailler avec son conjoint en micro-entreprise

Payer des rémunérations et/ou des charges sociales pour un collaborateur dans une micro-entreprise n’est sans doute pas une bonne idée, que ce salarié soit le conjoint de l’exploitant ou un une tierce personne. En effet les charges réellement exposées, ne sont pas déductibles du résultat, dans le système forfaitaire du régime micro-fiscal. 

Les couples d' entrepreneurs doivent envisager leur éventuelle séparation

Lorsque des conflits familiaux, dans lesquels l’affect tient une place importante, interfère dans le droit des affaires, les conséquences sur la vie des parties prenantes (conjoints, enfant en rupture avec un parent, …) et sur la gestion de l’entreprise familiale sont très souvent inextricables, … et produisent parfoit des effets dont la portée n’apparaît pas immédiatement.

Je ne vous dis pas de ne pas travailler en famille, je vous conseille seulement d’organiser les collaborations en manière telle que le respect de chacun soit assuré, y compris si des divergences de vues d’ampleur surviennent, dans le couple d’entrepreneurs.

Entreprise familiale : quand les conjoints exploitants divorcent