Tous ceux qui s’intéressent à votre stratégie vont se demander si votre vision entrepreneuriale se rapproche de ce qu’ils connaissent déjà. Quand une forte ressemblance avec, au moins, une entreprise existante est évidente, on peut conclure que votre stratégie est orthodoxe. A l’opposé, un concept inédit repose sur une stratégie hétérodoxe.
Qu’est-ce qu’une stratégie orthodoxe ?
On dira d’un créateur d’entreprise qu’il déploie un projet stratégique orthodoxe si sa vision stratégique le porte à réunir les ressources nécessaires pour satisfaire aux demandes d’un environnement.
L’orthodoxie entrepreneuriale se fonde sur l'adaptation des ressources de l'organisation aux opportunités découvertes lors de l’étude des caractéristiques d’un environnement existant.
Par exemple, lorsque Bouygues ou Free sont venus rejoindre Orange sur le marché des télécommunications, ces nouveaux venus se sont donné les moyens nécessaires pour rendre les mêmes services que l’opérateur historique, au mêmes clients, mais avec l’ambition de faire mieux.
Le marché est déjà façonné, donc les choix initiaux sont limités : les objectifs stratégiques et les objectifs opérationnels découlent de la compréhension de l’environnement existant et la nécessité d’identifier des facteurs clés de succès, pour les reproduire.
On dira d’un créateur d’entreprise qu’il déploie un projet stratégique orthodoxe si sa vision stratégique le porte à réunir les ressources nécessaires pour satisfaire aux demandes d’un environnement.
Qu’est-ce qu’une stratégie hétérodoxe ?
Les porteurs de projet qui présentent un processus stratégique hétérodoxe recherchent un environnement dont les caractéristiques sont compatibles avec les ressources et compétences qui sont disponibles au sein de leur structure.
L’hétérodoxie stratégique consiste, pour la gouvernance, à reconfigurer l’environnement (façonner un marché) afin de pouvoir y exploiter les moyens et ressources de l’entreprise.
Piloter une stratégie hétérodoxe nécessite une vision prospective risquée, puisqu’elle suppose d’agir sur des paramètres extérieurs à l’entreprise. Naturellement, le raisonnement stratégique se focalise aussi sur les forces internes : il est nécessaire de cultiver un ensemble de ressources et compétences forts, qui permettra de mettre en œuvre des stratégies de rupture et d’innovation.
Bref, le stratège hétérodoxe tire un avantage concurrentiel de sa capacité à bousculer les règles du jeu.
Par exemple, Apple, grâce à des compétences indéniables en marketing, a acquis une position unique, sur le marché des terminaux de téléphonie et de la micro-informatique, en cassant les codes, par rapport, notamment à Microsoft et aux constructeurs de téléphone fonctionnant sous Androïd. Apple travaille dur sur l’image associée à ses produits : ceux qui les achètent ressentent une sorte de « fierté » car l’image de la marque s’étend aux utilisateurs d’un Iphone ou d’un Mac. Résultat durable : quand bien même certains produits Apple ne sont pas toujours techniquement supérieurs à des solutions concurrentes, la marque à la pomme se donne les moyens de l’innovation permanente pour demeurer une marque « hype ».
Thierry Goemans
Une stratégie hétérodoxe est-elle plus risquée qu’une stratégie orthodoxe ?
La gouvernance d’entreprise qui opte pour un processus stratégique orthodoxe a la possibilité d’étudier le modèle économique des concurrents qui l’ont précédé dans cette voie.
De cette observation découle une limitation des risques entrepreneuriaux, puisque le « suiveur » qui a réalisé un bon diagnostic évite les erreurs que les précurseurs ont commises, en leur temps.
Cependant, l’imitation stratégique inhibe l’initiative et la créativité. Elle peut conduire les entreprises suiveuse à tomber dans le confort, ce qui diminue la capacité d’adaptation de l’entité.
Au contraire, les entrepreneurs qui déploient une stratégie hétérodoxe proposent une offre originale sur le marché qu’ils ont façonné. Ceux-ci se sont donné les moyens de cultiver des valeurs entrepreneuriales dont l’ADN est fondé sur l’innovation, la prise de risque ainsi qu’un forte capacité d’apprentissage et d’agilité face au changement.
Du point de vue comptable, une prime de risque profite probablement aux entrepreneurs les plus disruptifs : les pionniers qui réussissent durablement à faire la course en tête en grâce à une stratégie d’innovation vont se forger une image de marque reconnue. Ils peuvent capitaliser sur celle-ci pour engranger, parfois, des bénéfices confortables, pendant que les copieurs (adeptes d’une stratégie orthodoxe) ont toujours au moins une longueur de retard sur l’innovation permanente.
Revers de la médaille, l’entreprise qui a une stratégie d’éclaireur court des risques financiers élevés : des investissements continus en recherche et développement et en marketing sont indispensables pour garder l’avantage concurrentiel de l’entreprise hétérodoxe. A force de vouloir sortir souvent des produits techniquement avancés, il se peut que certaines nouveautés déçoivent la clientèle, avec à la clé, un non-retour sur investissement et une détérioration de la légitimité de la marque.
Du point de vue du financement de l’entreprise, l’hétérodoxie stratégique peut compliquer l’obtention de crédits. Les créateurs d’une entreprise très originale ou disruptive auront les coudées plus franche si leurs fonds propres leur garantissent une certaine autonomie financière.
Risque de désalignement stratégique
Pour revenir aux avantages d’un processus stratégique orthodoxe, on peut dire que les suiveurs limitent leurs risques financiers en ne reprenant à leur compte que les produits et techniques qui ont fait leurs preuves dans des entreprises concurrentes.
Du côté des risques encourus par l’entreprise « suiveuse », il faut relever celui du « désalignement stratégique ». Ce décalage survient lorsque le « copieur » a mal diagnostiqué les tendances qui se dégagent de l’observation des entreprises pionnières.
Le risque est alors, pour l’entreprise orthodoxe, d’investir dans l’offre de produits ou services qui ne sont pas de bonnes alternatives, par rapport à ce que propose la marque de pionnière.
Le désalignement stratégique de ceux qui promeuvent un modèle stratégique orthodoxe conduit alors à renforcer l’avantage concurrentiel détenu par l’entreprise douée pour l’innovation permanente. Chez ces dernières, le risque de désalignement stratégique majeur survient en cas de persévérance excessive : dans les entreprises hétérodoxes, la capacité à pivoter vers une stratégie de moindre ambition, voire renoncer au bon moment à un projet dont le seuil de rentabilité paraît lointain ou incertain est cruciale : le manque de lucidité chez les dirigeants hétérodoxes peut précipiter les ressources financières de leur entreprise dans un gouffre sans fond.
Comme exemples de désalignement stratégique chez des entreprises autrefois leaders dans l’innovation, on peut citer Nokia, principal constructeur des premiers téléphones mobiles, basiques, mais qui a quasi disparu du marché des terminaux depuis que nous sommes tous passés au smartphone. Dans le secteur de la photo, Kodak, leader mondial au temps de la photographie argentique a également complètement loupé la marche du passage au numérique, par manque de vision.
Stratégie orthodoxe ou hétérodoxe, cela dépend de vos moyens, de vos compétences mais aussi de votre apétence au risque. Ce qui est certain, c’est que, lorsqu’il est question de business model, l’orthodoxie sera impossible si aucun entrepreneur hétéro n’accepte de s’aventurer en terrain inconnu.
Dans cette série consacrée à la conception d’une stratégie d’entreprise, je vous explique comment dépasser le stade de la vision stratégique en formulant des objectifs stratégiques, des objectifs opérationnels et des plans d’actions, qui permettent de passer de l’idée à l’exploitation d’un projet entrepreneurial.