Les entreprises formulent des plans à long terme. A posteriori, des désalignements plus ou moins importants apparaissent lorsqu’on compare la stratégie réalisée à la stratégie délibérée.
Ces écarts, qui découlent de la stratégie émergente sont-ils un fléau, ou au contraire, une aubaine ?
🚨Alerte divulgation 🚨 Dans cet article, on explique comment réagir lorsque, par nécessité ou par négligence, la stratégie mise en oeuvre dans une organisation s'écarte du projet stratégique conçu en amont.
Pas de business model crédible sans planification stratégique
Au moment de formaliser un modèle économique, les porteurs de projets s’astreignent généralement à un exercice de réflexion, pour établir leur plan stratégique. En cohérence avec les autres composantes du business plan, ils expliquent comment l’entreprise s’y prendra pour concrétiser leur vision entrepreneuriale, puis pour assurer sa pérennité et son développement.
La planification stratégique offre une projection dans le temps : les promoteurs d’une activité nouvelle s’engagent et nous entrainent à considérer ce que sera leur organisation dans 5 ou 10 ans.
Et bien sûr, ils posent les bases de ce qu’il faut mettre en oeuvre pour réaliser leurs ambitions.
Les entrepreneurs qui savent où ils vont et comment ils iront formulent et communiquent donc leurs intentions stratégiques.
Celles-ci sont plus ou moins formalisées, selon la taille de la structure :
- dans des plans stratégiques,
- dans les projets annoncés
- dans les déclarations de la gouvernance.
« Lorsque je demande aux managers, que je reçois en formation, s’ils ont lu le plan stratégique disponible sur le site internet de leur boîte, je suis trop souvent surpris parce que la majorité avoue qu’elle n’a pas connaissance de la documentation institutionnelle disponible. » Jadis, dans les organisations paternalistes, le patron savait et les équipes faisaient. Mais au XXIième siècle, le manager employé par une grande entreprise, qui n'a pas été assez curieux pour rechercher, sur le web, les intentions stratégiques auquelles il participe est quand même un peu coupable de ne pas jouer le jeu du travail collaboratif.
THIERRY GOEMANS
Des intentions stratégiques à la stratégie réalisée
Lorsque la période pluriannuelle prévue pour l’exécution d’un plan stratégique est terminée, la gouvernance fait le bilan, avant de communiquer sur ce qui est achevé, ce qui devra être poursuivi et sur les nouveaux défis que l’entreprise relèvera : un nouveau plan stratégique succède au précédent; il fixe un nouvel horizon, pour une nouvelle période de plusieurs années.
Le débriefing aboutit le plus souvent au constat que le processus stratégique réalisé ne correspond pas totalement à ce qui a été écrit, en amont; l’alignement stratégique parfait est rare !
Des outils de reporting sont indispensables pour prendre la mesure des écarts significatifs entre les prévisions et la réalité. L’implémentation d’un tableau de bord de pilotage, comprenant des indicateurs-clés directement liés aux facteurs clés de succès de l’entreprise conditionne la prise des bonnes décisions au bon moment et sur la base de données objectives.
L’éxamen d’indicateurs-clés bien choisis permet aussi de vérifier si le temps de pivoter vers un autre schéma stratégique n’est pas venu, ou si la nécessité s’impose d’appliquer un plan de repli.
De la stratégie délibérée à la stratégie émergente
Les opérations mis en œuvre dans le respect du plan font partie de la stratégie délibérée : l’entreprise a réalisé ce qu’elle avait prévu de faire, en temps voulu et en respectant la méthode envisagée.
Pour le reste, lorsque l’outil décisionnel démontre que des désalignements stratégiques ont lieu, une approche « macro » de la cause de ces déviances s’impose, en répondant à deux questions :
- l’entreprise n’a-t-elle pas eu les moyens de ses ambitions ?
- des actions non prévues se sont-elles ajoutées aux intentions initiales ?
La réponse à ces deux interrogations repose, pour la première, plutôt sur un manque éventuel de ressources ou sur un emploi de celles-ci non conforme au plan.
Pour la seconde, des éléments imprévus concernant le marché, la concurrence ou d’autres facteurs modifiant l’environnement de l’organisation peuvent avoir justifié la réalisation d’actions d’adaptation, différentes de celles prévues.
Stratégie délibérée : avantages et inconvénients
L’avantage incontestable procuré par l’élaboration d’une stratégie délibérée est que celle-ci fixe un cap à long terme. Elle formalise des valeurs communes et des objectifs majeurs . Le « contrat » de toutes les forces vives est de collaborer dans le respect de ce plan.
A vrai dire, l’errance stratégique consiste à laisser chacun faire de son mieux, en fonction de ce qu’il imagine être bon pour l’organisation qui l’emploie : l’entreprise ne sait pas où elle veut aller et, personne ne sait vraiment le sens de son travail.
Un conseil pour rapeller règulièrement l’horizon à long terme, à l’ensemble des forces vives : mettre en place un processus budgétaire sur une base annuelle.
Le GPS est un outil de pilotage inutile pour ceux qui ignorent où ils veulent se rendre.
THIERRY GOEMANS
Le principe de la stratégie délibérée présente cependant quelques inconvénients :
- les erreurs de planification : souvent finalisé par un comité restreint, le plan stratégique peut s’avérer irréalisable, au niveau opérationnel : les équipes s’épuisent en appliquant docilement une théorie déconnectée de la réalité du terrain, avec à la clé des perfomances médiocres. Des objectifs surdimentionnés, ou au contraire, pas assez ambitieux produisent des effets similaires.
- la stratégie et les budgets à long terme établis très en amont de la marche effective des affaires. Ici encore un manque d’alignement avec le réél est un risque.
En matière d'élaboration d'une stratégie délibérée, on doit reommander aux directions générales de décentraliser la démarche, pour valoriser l'expertise des opérationnels, avant de rendre les arbitrages, au niveau de la gouvernance. Cette pratique, qui va impliquer davantage de niveaux hiérarchiques dans la construction du plan stratégique est plus lourde mais présente le double avantage de tenir compte de l'avis de ceux qui vont la mettre en oeuvre.
De la stratégie émergente à la stratégie réalisée
L’étude des actions menées différemment du plan stratégique conduit à la description de ce qu’on appelle la stratégie émergente.
Stratégie émergente : avantages et inconvénients
L’avantage principal d’accepter l’émergence de désalignements stratégiques est que ceux-ci sont parfois nécessaires pour pallier aux inconvénients inhérents à la stratégie délibérée. Vouloir poursuivre absolument le plan écrit alors que des paramètres ont changé est stupide.
Pour apporter une réponse à la question qui constitue le titre de cet article, il faut dire que les désalignements stratégiques sont heureux, lorsqu’ils démontrent la souplesse d’une entreprise agile, capable de s’adapter aux changements, parfois soudains dans son environnement.
Mais tous ceux qui ont pris part à la définition d’un plan stratégique pluriannuel devront s’interroger lorsque l’entreprise n’a pas eu les moyens nécessaires pour investir et opérer selon leur vision.
Dans ce cas un nouveau raisonnement est utile :
- La stratégie écrite était-elle non pertinente au regard des moyens disponibles ?
- Les responsables de la mise en œuvre de la stratégie ont-ils été maladroits lors de l’affectation des ressources ?
- Le management du changement-a-t-il été pertinent ?
Pour introduire une note d’humour (ou de cynisme), faut-il changer les stratèges ou virer les managers exécutifs ?
Du côté des inconvénients à éviter, lorsque la stratégie émergente semble prendre largement le pas sur le plan stratégique, il faut surveiller :
- la tendance des opérationnels à privilégier le micro-management, sans prendre le temps de bâtir ce qui contribue à la vision à long terme.
- la possibilité que des contributeurs peu inspirés par la vision stratégique se sentent libres d’agir selon leur propre perception, sans tenir compte du « contrat » qui les lie aux valeurs de l’entreprise
- enfin, s’écarter de l’itinéraire traçé, c’est accepter de perdre ses points de repères; le pilotage de la performance devient aléatoire, quand les critères cibles des indicateurs-clés fixés à l’avance sont reconnus officiellement comme dépassés.
Fidélité au plan, hasard ou serendipité ?
Dans cette série consacrée à la conception d’une stratégie d’entreprise, je vous explique comment dépasser le stade de la vision stratégique en formulant des objectifs stratégiques, des objectifs opérationnels et des plans d’actions, qui permettent de passer de l’idée à l’exploitation d’un projet entrepreneurial.